Difficile de trouver les mots lorsqu’une complice et amie aussi proche vient à disparaître.
Dans le cadre du programme de recherche Play>Urban, les résidences des Scénos Urbaines et dans des projets plus personnels, nous travaillons depuis le milieu des années 2000 avec Dominique Malaquais. C’est à Douala que la connexion s’est faite par l’intermédiaire des artistes du Cercle Kapsiki, Hervé Yamguen et Hervé Youmbi. Dominique a publié un texte parlant des traces immatérielles de la résidence, laissées chez les habitants du quartier de New Bell, où elle s’était déroulée. Ce texte a été essentiel à la constitution même du projet, car il répondait d’emblée à une question depuis récurrente : quelles traces (sous-entendu, tangibles) laissez-vous une fois partis ? Ce à quoi les habitants répondaient fort bien : on a envie d’autres projets, d’autres événements, on a envie que notre quartier vive.
Nous nous sommes alors rencontrés à Paris. Ce fut important car à ce moment-là, 2005, les débats en France étaient le plus souvent simplistes et ignorants, encombrés de clichés coloniaux, en ce qui concerne la relation aux sud[s]. Elle était alors l’une des rares en France avec son bagage venu des États Unis, son parcours, son expérience des contextes, à pouvoir porter un regard aussi précis, radical ET nuancé, sur les possibles d’une relation avec les contextes africains en particulier, que nous découvrions encore, et pour lesquels notre intérêt était souvent caricaturé.
Nous l’avons donc invitée à Strasbourg, à la HEAR, l’école d’art où nous enseignons la scénographie et où nous tentions déjà, à l’époque, de faire venir artistes et étudiants non européens, notamment africains, ce qui était et reste un défi constant. Ainsi s’est initiée, avec douceur sur ces sujets pourtant polémiques, une complicité intellectuelle, d’idées, un croisement des regards, beaucoup de questionnements sur les manières d’agir, les pratiques et la place d’un.e artiste ou chercheur.euse européen.ne dans sa relation aux sud(s). Nous nous en rendions à peine compte tant cette relation s’est faite organique. Elle est jalonnée de multiples moments : au fil d’un partenariat entre l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa et la HEAR, un long séjour à Kinshasa à l’été 2008 a constitué pour elle l’une des ouvertures sur cette ville. Elle a accompagné la naissance du programme de recherche Play>Urban [à la HEAR toujours], dont elle a contribué au socle théorique en nous faisant notamment rencontrer le travail d’AbdouMaliq Simone et en accompagnant les résidences, à Strasbourg et Johannesburg entre 2011 et 2013, ainsi que la naissance de la revue Play>Urban.
Cette relation a évidemment largement croisé les Scénos Urbaines : elle nous a rejoints à Johannesburg en 2009 et a été co-commissaire du n°14 de la revue Livraison, consacré à une résidence virtuelle à Belleville [Paris]. Les réseaux se sont ainsi croisés, une constellation, bien vivante aujourd’hui, s’est dessinée : Lionel Manga, Julie Peghini, Ntoné Edjabé, Kadiatou Dialo, AbdouMaliq Simone… font partie des rencontres importantes que nous lui devons. Elle s’est mise à écrire et cheminer avec des artistes comme Mega Mingiedi, le collectif Eza Possibles, Kongo Astronauts, Androa Mindre Kolo… Artistes, chercheurs, complices nouveaux, se sont glissés et ont grandi doucement dans nos vies et nos projets respectifs, via cette manière si particulière qu’avait Dominique de constamment faire réseau, de parler aux uns du travail des autres, de faire ‘nous’, de faire du travail commun une force.
Dans un cadre plus personnel, Dominique et J-Christophe ont traduit et écrit ensemble : des textes d’AbdouMaliq Simone, certains textes de J-Christophe publiés dans la revue Chimurenga, notamment sur le travail d’Unathi Sigenu ; un texte sur le collectif Eza Possibles [catalogue Beauté Congo]… La distinction entre les deux se faisait floue tant son rapport à la langue et à l’écriture étaient ancrés et précis. Entre 2017 et 2020, J-Christophe a été scénographe de l’exposition Kinshasa Chroniques, dont Dominique était commissaire [Avec Androa Mindre Kolo, Fiona Meadows, Claude Allemand Cosneau, Sebastien Godret], d’abord au MIAM à Sète, puis à la CAPA à Paris. L’un des dialogues qui constituent sa HDR revient sur cette aventure de plus de trois ans et sur ce qu’implique le fait d’exposer une ville comme Kinshasa – comment porter un regard sans surplomber, comment déconstruire les clichés, amener les gens à faire expérience ‘par le milieu’ -, sur les enjeux d’un tel projet et les [im]possibles d’une radicalité, dans un contexte muséal européen.
Enfin, le projet des Utopies, mené avec Julie Peghini, a connu deux volets : le premier, les Utopies Urbaines à la Cité Internationale des Arts, à l’invitation d’une autre complice, Bénédicte Alliot, et le second, les Utopies Prophétiques, à la HEAR-Strasbourg, ceci quinze jours à peine avant sa disparition. Malade elle l’était, mais en fait elle ne l’était pas. Elle avançait et nous avancions, tous, avec elle à chaque instant.
Dominique a agi pour nous comme une boussole et ce pendant plus de quinze ans. Elle a guidé, par sa présence, ses écrits, par sa bienveillante intransigeance, ses suggestions, sa radicalité éthique, nos pas, dans une grande partie du travail que nous avons mené. Nous avons agi ensemble, écrit ensemble, infusé ensemble, dans une profonde amitié. Au-delà de chacune des expériences ici évoquées, c’est ce compagnonnage essentiel qui nous reste et qui constitue une perte dont nous avons beaucoup de peine à imaginer comment faire, à l’avenir, sans elle. Mais cela viendra, elle l’aurait souhaité. Nous continuerons donc avec elle, dans ses pas.
Un immense merci, Dominique.
François Duconseille et Jean-Christophe Lanquetin
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En 2008, dans le numéro 73 de la revue Africultures, Dominique Malaquais faisait paraître un texte sur les Scénos Urbaines de Douala intitulé ‘Douala en habit de festival’. Ce texte a été essentiel à la constitution même du projet, car il répondait d’emblée à une question depuis récurrente : quelles traces (sous-entendu, tangibles) laissez-vous une fois partis ? Ce à quoi les habitants répondaient fort bien : on a envie d’autres projets, d’autres événements, on a envie que notre quartier vive.
Les festivals ont incontestablement un impact sur le tissu urbain des villes qui les
accueillent. Le plus visible est l’architecture au sens le plus courant du terme, avec la
construction d’édifices créés spécialement pour l’événement (le Musée Dynamique érigé
pour le Festival des arts nègres en est l’un des exemples les plus frappants). Sur un mode
plus discret et diffus, les Scénographies Urbaines organisées à Douala en 2002-03 ont su
créer un espace alternatif dans la ville, offrant un lieu de contestation des visions officielles
de l’espace urbain. Outre le compte rendu de cette expérience, le récit de Dominique
Malaquais décrit aussi un mode de travail dans la proximité et la négociation qui affecte et
imprègne l’espace urbain par la rumeur et dans la durée – loin de la lourdeur de bien des
manifestations festivalières (..)
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En 2008, Dominique nous rejoint concrètement sur la préparation et la réalisation des Scénos Urbaines de Johannesburg puis sur l’évènement <<RR=FF>>Paris-Villette qui en était une restitution performée. Nous lui devons d’ailleurs l’usage de <<RR=FF>> qui devint le titre générique des différentes restitutions réalisées par après
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En 2010 nous associons Dominique et Franck Houndégla à la réalisation de la Labellevirtuelle, n°14 de la revue Livraison, résidence virtuelle à Belleville, 40 artistes du monde entier sont conviés à proposer des projets ‘in situ’ dans ce quartier de Paris. L’ensemble des projets pensés à distance seront collectés via un blog et publiés dans ce livre en forme de résidence. À cette occasion Dominique publiera un texte en hommage à son ami, l’artiste Goddy Leye disparu prématurément.
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à partir de cette date Dominique devient une collaboratrice majeure du projet Play>Urban, extension des Scénos Urbaines dans le champ universitaire développé dans un premier temps avec la WITS School of Art de Johannesburg
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